Le 19 mai dernier, une première salle de cinéma de réalité virtuelle a ouvert ses portes à Paris. On promet aux spectateurs une expérience incomparable grâce à des casques et écouteurs qui les propulseront dans un monde parallèle pendant des séances de 40 minutes. Pourtant, le designer Tomás Dorta, professeur à l'Université de Montréal, n’y croit pas. «Le spectateur muni d’un dispositif individuel est isolé des autres, ce qui est contraire à l’expérience collective. C’est précisément ce qu’on recherche quand on va au cinéma», explique-t-il.
Avec deux étudiants au doctorat, Sana Boudhraâ et Davide Pierini, il a voulu mesurer l’expérience de la plongée dans la réalité virtuelle et a comparé les visiocasques avec un système de projection immersif sur un écran concave-sphérique mis au point par son équipe de recherche et appelé Hybrid Virtual Environment 3D (ou Hyve-3D). Il a immergé 20 sujets de différents âges dans les deux types d’environnement virtuel et noté leurs réactions et comportements. «Au bout du compte, les gens ont nettement préféré la réalité virtuelle sans lunettes, puisqu’ils pouvaient interagir avec les autres spectateurs et échanger leurs impressions en temps réel. Ils appréciaient le côté grégaire de l’expérience», affirme le chercheur, qui a publié ses résultats à l’ACM Digital Library le 28 octobre dernier, le jour même où il a présenté cette étude expérimentale à la 28e Conférence francophone sur l’interaction homme-machine, qui s'est tenue à Fribourg, en Suisse.
Alors que les utilisateurs de visiocasques doivent bouger continuellement la tête pour explorer les images diffusées dans toutes les directions, ce qui les empêche souvent de voir les scènes significatives qui se déroulent à l’avant, les spectateurs dans le Hyve-3D ne manquent rien de l’action et ressentent tout autant le sentiment immersif. De plus, le visiocasque prive les utilisateurs des communications non verbales (expressions faciales, gestes et postures) des autres spectateurs, dit le résumé de l’article.
«Le Monde» déçu
Les conclusions de cette étude vont dans le même sens que celles des auteurs de la Chronique des révolutions numériques du journal Le Monde à la suite de leur visite de la salle de cinéma de réalité virtuelle de la Ville lumière le 19 mai. «L’expérience est à la hauteur, et les films montrés font globalement honneur aux promesses de cette technologie, peut-on lire. Mais la réalité propre à la RV rattrape parfois le spectateur: contact avec un pilier proche du siège, buée sur l’écran par temps orageux ou démangeaison inopinée d’une paupière peuvent rapidement gâcher la séance.»
Tomás Dorta estime que les amateurs de films d’horreur ou d’action seront bien mieux servis dans une salle de cinéma dotée d’un système tel que le Hyve-3D. Lui-même a travaillé à un prototype qu’on peut apercevoir au laboratoire de recherche en design Hybridlab, au pavillon J.-Armand-Bombardier, près de Polytechnique Montréal. «On sent que le marché s’emballe actuellement pour la réalité virtuelle. À mon avis, les visiocasques ne sont pas la voie à suivre», commente-t-il.
Son dispositif ne se limite pas qu’à l’industrie du divertissement. Interagissant avec une tablette électronique, il peut permettre à des professeurs d’entrer littéralement dans les projets sur lesquels ils travaillent en compagnie de leurs étudiants. Joignant le geste à la parole, il guide le journaliste de Forum dans les corridors du pavillon de la Faculté de l’aménagement de l’UdeM, qu’il a précédemment modélisé en 3D. «On peut penser que des architectes et ingénieurs pourront présenter leurs projets de la même façon à leurs clients. Imaginez entrer dans la maison ou le bureau que vous souhaitez construire. On peut agrandir la salle de bain ici, redescendre l’escalier et se rendre dans chacune des pièces», le tout en dessinant en trois dimensions.
Une fonction de son système permet même de disposer le mobilier. On peut voir ainsi se bâtir une maison sous ses yeux… comme si l’on y était.
Crédit photo : Amélie Philibert