« J’ai vécu tellement de transitions, même pendant mes études, se souvient-elle. Entre le baccalauréat et la maîtrise, je suis passée du crayon sur papier à l’ordinateur portable. »
L’informatisation donne aussi lieu à des projets architecturaux de plus en plus complexes qui doivent se conformer à des normes qui n’existaient pas auparavant. Lucie cite l’exemple des pratiques en efficacité énergétique :
« Pendant mes études, je n’avais pas l’impression que c’était nouveau, le développement durable. Le professeur Daniel Pearl appliquait cette approche à la théorie de la construction et m’y a initiée. Avec le recul, je réalise que c’était novateur pour l’époque de se soucier autant de notre impact sur l’environnement. »
Son intérêt pour le développement durable a amené Lucie à participer à Solar Decathlon 2005, une compétition internationale pour faire la conception d’une maison solaire, en collaboration avec l’Université Concordia.
« Pour la toute 1re fois, je travaillais avec des professionnels d’autres disciplines, comme des ingénieurs, se remémore-t-elle. Je n’avais jamais travaillé dans un bureau. J’étais exposée à d’autres réalités; on parlait d’intégration structurale, d’électromécanique, de systèmes de chauffage! Ces moments de découverte ont très certainement influencé ma pratique. »
En 2018, elle s’associe à Jean-Philippe Beauchamp et fonde MANŒUVRE architecture. Ensemble, ils forment une équipe complémentaire avec des expériences diversifiées de la pratique. Ils gardent toutefois un côté généraliste, ce qu’elle encourage dans leur équipe.
« L’architecture, c’est tellement vaste, s’exclame-t-elle! Chaque architecte finit par se spécialiser dans un élément de la pratique. Par exemple, au fil des années, j’ai développé mes connaissances en sécurité du bâtiment. Si bien qu’aujourd’hui j’enseigne cette matière, qui est essentielle à la conception architecturale, à la maîtrise en architecture. »
La petite taille de l’entreprise lui permet aussi de toucher à tout, d’élargir son champ de compétence et d’être en contact constant avec la relève.
« Chaque projet est unique, mentionne-t-elle. Je suis heureuse de travailler avec des professionnels d’autres disciplines avec qui je peux échanger et trouver des solutions à des problèmes complexes. On arrive préparés, on discute, on est exposés à différentes perspectives et façons de faire. On réalise aussi quelles sont les limites de notre discipline. Avec le temps, on comprend mieux ce que l’autre fait, et c’est toujours très enrichissant. »
Lucie est consciente de l’influence des enjeux sociétaux sur les projets architecturaux pluridisciplinaires. Elle soulève par ailleurs la prise de conscience des besoins des populations vulnérables dans l’environnement bâti.
« Ces projets dont on a rêvé et que nous avons conçus ensemble, ils restent et évoluent avec les préoccupations de la société, remarque-t-elle. L’accessibilité universelle en est un bon exemple. Nous avons aujourd’hui une approche beaucoup plus inclusive de la conception universelle qui va au-delà d’assurer la conformité aux exigences réglementaires relatives à la conception sans obstacle. Nous souhaitons créer des projets répondant à l’ensemble des besoins des divers groupes de population. »
Lucie se considère comme une jeune architecte, malgré ses 16 ans de pratique. Elle avoue commencer à comprendre ce qu’est réellement l’architecture.
« Ce que je suis est la somme de mes expériences, bonnes et moins bonnes, souligne-t-elle. Je n’ai pas un parcours parfait. J’apprends de chaque projet et j’espère être meilleure au prochain. »
Même si elle hésite à se prononcer sur ce qu’est l’architecture de demain, elle a quelques petits conseils pour la relève : « Dans ce métier, il faut avoir ses projets à cœur. Leur réalisation s’étale parfois sur plusieurs années, alors on est mieux d’être persévérants! Il faut surtout avoir la soif d’apprendre et ne pas avoir peur d’être déstabilisés. »